Auteur/autrice : Edgar Rollings
Chocolat Froid
Un jour, la maîtresse a demandé à chaque élève de la classe ce qu’il ou elle voulait faire lorsqu’il ou elle serait grand. Quand mon tour fut venu de répondre, j’ai dit, bien haut: « quand je serais grand, je voudrais être vieux. »
Tout le monde a ri. Je crois que c’est depuis ce moment que je n’aime pas trop parler de moi.
Comprenez bien. Quand j’ai dit que je voulais être vieux, ce que je voulais dire, c’était que je me voyais portez une barbe épaisse de bûcheron. Marcher avec une superbe canne noueuse de bois verni. Rester assis à côté d’un feu ouvert, à lire des livres et boire du chocolat chaud… Toute mon enfance, j’en ai rêvé!
Et puis je suis devenu vieux : Ce n’était pas tout à fait ce que j’avais imaginé.
J’ai bien eut une barbe. Pas une grande barbe blanche bien taillée. Une barbe diffuse, qui poussait dans tous les sens. Tous. Sauf ceux que je voulais. En plus, Tout ce que je mangeais s’accrochait dans mes poils. Je devais en permanence les secouer pour qu’elle redevienne propre.
C’est comme si j’avais un capital capillaire limité. Pour tous les poils sur mes joues, j’en perdait sur mon crâne. Quand j’ai grossi, ça a donné des joues rondes un peu poilues avec d’autres poils sur les tempes et très peu sur le crâne. Ma tête était devenue une sphère velue.
J’ai eu aussi une canne. Pas une jolie canne de promeneur! Seulement une béquille de métal, avec un catadioptre sur sa poignée pour signaler ma présence sur la route.
Je n’avais pas de feu ouvert. De toute manière, ma vue avait tellement baissée que je ne pouvais plus lire.
J’avais cependant du chocolat. Une vieille plaquette découverte au fond d’une armoire. Vous savez, du chocolat noir tacheté de blanc comme si on l’avait fait rouler dans de la farine. Il paraît que ce genre de vieux chocolat reste bon. Moi j’ai brisé la plaquette entre mes mains. Elle a éclaté en plein de petit morceaux triangulaires. Je les ai fait tremper dans du lait. J’ai tout fait chauffé. J’en ai rempli une tasse.
Le temps que j’ai passé à énumérer tout ce que j’avais manqué en grandissant, mon chocolat chaud a refroidi jusqu’à devenir tiède. Alors, j’ai pris ma vilaine béquille. Je suis parti en promenade vers la forêt, là où il y avait plein d’animaux.